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Adoptez la Locale Attitude !

Produire local, consommer local, vivre local, sont autant de tendances de fond qui se sont encore accélérées sous l’effet de la crise sanitaire. Comment le marché des médias peut-il surfer sur cette vague porteuse ? Éléments de réponses avec Florian Grill, président de CoSpirit Groupe et de l’Association les Relocalisateurs et Jean-Pierre de Kerraoul, journaliste, éditeur de presse hebdomadaire régionale, président d’Espace PHR.

 

Florian Grill
Président de CoSpirit Groupe et de l’Association les Relocalisateurs

Jean-Pierre de Kerraoul
Journaliste, éditeur de presse hebdomadaire régionale, président d’Espace PHR

La rédaction CoSpirit : quel rôle la presse de proximité joue-t-elle dans l’intérêt grandissant d’une partie des Français pour le local ?

Jean-Pierre de Kerraoul :

Un rôle fédérateur. Que font les urbains qui s’installent dans un territoire rural ou rurbain ? Ils achètent le journal local pour y trouver les informations sur la vie politique, économique, associative, sportive, qui font l’actualité de leur nouveau bassin de vie. C’est un outil précieux pour s’intégrer et sentir le pouls du pays. Notre fonction est de fédérer des gens différents qui ont en commun d’habiter le même territoire.
La crise sanitaire de 2020 a montré l’importance de cette mission. En dépit d’une distribution pénalisée par les mesures de confinement, nous avons souvent augmenté nos ventes au numéro de manière significative : nos lecteurs voulaient savoir comment s’organisait la vie quotidienne sous confinement dans leur territoire et ils avaient confiance dans les informations que nous leur communiquions. Quand la télévision les bombardait d’images angoissantes et les réseaux sociaux de fake news, nous avons choisi de mettre en avant, dans nos hebdos et sur nos sites, des gens qui se mobilisaient pour faciliter la vie des autres et donnaient une image positive de leurs communautés locales. C’est aussi ça le rôle de la presse locale, aider les gens à mieux vivre ensemble. Nos journalistes sont en prise directe avec les lecteurs, ils vivent au même endroit, ils se rencontrent dans la rue, à l’hypermarché, au stade…
Le recentrage des Français sur le local va de pair avec un besoin d’authenticité, qui n’est pas synonyme de repli. Nos contemporains se rapprochent d’un media en qui ils ont confiance, légitime à leurs yeux et porteur d’une personnalité éditoriale. Ces attentes jouent en notre faveur.

La rédaction CoSpirit : le marché publicitaire répond-il à ces attentes ?

Florian Grill :

L’intérêt est évident mais les annonceurs sont très loin de consacrer au local la part qu’il mérite. Selon le Xerfi, le marché des médias représente 47,5 milliards d’euros, soit 15 milliards pour les médias nationaux, 15 milliards pour le retail media, 15 milliards pour le hors media au sens large incluant les catalogues distribués en boîte aux lettres et « seulement » 2,7 milliards d’euros pour les médias locaux. Pourquoi cette frilosité ?
Alors que le local est attendu par leurs clients, les annonceurs choisissent encore trop souvent les solutions de facilité. Pour être un peu sévère avec mes amis des agences media, je dirai qu’il est plus simple de faire un gros plan media en TV ou chez les GAFAM. Les process y sont industrialisés, automatisés, ce qui n’est pas le cas en presse locale. Même si des structures comme Espace PHR ou 366 font de vrais efforts pour simplifier l’accès au média, la galaxie des titres, des supports, éventuellement des formats créent de la complexité pour un annonceur national. Les journaux ne bénéficient pas d’une notoriété spontanée au national, alors qu’en termes d’adhésion locale, le sentiment de proximité est très fort. Mais cette fâcheuse tendance à regarder la France depuis Paris fait oublier les spécificités des bassins de vie, les comportements locaux, la somme de différences, de pluralités. Par exemple, chez CoSpirit Groupe, nous gérons des panels pour le compte de nos clients retailers. Nous constatons qu’il est plus facile de recruter des panélistes pour un hypermarché local que pour l’enseigne nationale. Les consommateurs sont attachés au magasin qu’ils fréquentent régulièrement, ils en connaissent le directeur, les équipes de vente, l’organisation, un lien humain s’est crée.
Dans le secteur de la grande distribution, les formats qui gagnent du terrain sont les réseaux d’indépendants et de franchisés. Il est intéressant de comparer les budgets attribués au local par des groupes de franchisés ou d’indépendants versus des retailers intégrés. Les premiers ont la connaissance du marché local et se donnent la souplesse budgétaire pour, par exemple, investir en riposte à l’arrivée d’un concurrent, en amont, pendant et après l’ouverture pour conserver leur clientèle. Les enseignes intégrées privilégient trop souvent la communication nationale au risque de rater leur riposte concurrentielle au niveau local si on reste sur cet exemple.

Jean-Pierre de Kerraoul :

Pour illustrer les propos de Florian, au sein d’Espace PHR, la régie nationale commune à l’ensemble des hebdos régionaux, le secteur automobile a longtemps été le premier annonceur avec quelque 60% des investissements publicitaires. Il est aujourd’hui passé au troisième rang derrière les acteurs institutionnels et a cédé la première place au retail, et plus spécifiquement aux réseaux indépendants dont les adhérents sont bien implantés localement et mesurent l’attachement de leurs clients à une marque locale.

La rédaction CoSpirit : comment convaincre les annonceurs de jouer plus efficacement la carte du local ?

Florian Grill :

Chez CoSpirit Groupe, nous avons mis au point une méthodologie, un outil appelé « La France De » qui démontre qu’un plan media même national n’est pas homogène sur l’ensemble du territoire.
Quand on dessine la France de chacun de nos clients, on s’aperçoit qu’il y a des vrais disparités territoriales. La France d’Aldi n’est pas la France de Carrefour, la France de Rians n’est pas la France de Danone.
Optimiser un plan media implique de prendre en compte une triple hétérogénéité : l’hétérogénéité des médias sur l’ensemble des territoires, l’hétérogénéité des cibles car les attentes diffèrent d’un territoire à l’autre et l’hétérogénéité des réseaux de distribution. C’est complexe, mais notre métier consiste à gérer cette complexité et à la rendre pédagogiquement acceptable pour nos clients. Notre enjeu en tant qu’agence media est d’être capable de faire du local de manière plus industrielle. Pour reprendre l’exemple du retail, c’est donner aux groupes intégrés des systèmes de remontée d’informations leur permettant d’agir localement en réponse à des moments de vie des magasins – ouvertures, ripostes concurrentielles, anniversaires, évènements locaux… –  ou en sur-pression de plans media nationaux qui doivent être compensés localement. Quelques clients pour lesquels nous gérons à la fois et le national et local ont bien compris cette nécessité du local. C’est le cas d’Aldi par exemple qui a clairement compris qu’il fallait construire par la base ce qui suppose de garantir une visibilité locale de chaque magasin avant même de construire une stratégie media nationale.

La rédaction CoSpirit : plus globalement, la référence au local est omniprésente, comment profiter de cette opportunité sans verser dans le « localwashing » ?

Jean-Pierre de Kerraoul :

Nous, éditeurs de presse locale, sommes un peu les M. Jourdain de la proximité, on en fait sans le savoir. C’est le moment de l’assumer totalement, sans en rajouter, en traitant toujours plus de sujets au plus près des bassins de vie. Un journal n’est pas seulement un support d’informations, c’est un acteur de la vie locale qui joue un rôle d’animateur et parfois d’alerte en cas de dérive d’un pouvoir local, par exemple. Aux États-Unis, des études ont montré que quand la presse locale disparaît, le débat public local s’affaiblît et la participation électorale baisse significativement .

Florian Grill :

L’enjeu va bien au-delà des médias et de l’efficacité des campagnes. La presse est un garant de la démocratie locale. Et un médiaplanneur n’en est pas moins un citoyen, c’est le message que je passe à mes équipes. Il y a une urgence du local, il correspond à une aspiration des populations. Nous sommes satisfaits de voir que le combat que nous menons depuis 28 ans chez CoSpirit est enfin reconnu.